Le Vatican est aujourd'hui bien éloigné de la pauverté évangélique.

Le symbolisme cathare

Les cathares s'appuyaient sur une explication principalement symbolique des textes, ce qui avait pour effet de redonner une signification à quelques passages mystérieux ou étranges, dont certains qui traitent des miracles et dont l'effet n'était que «spectaculaire».
Par exemple, le miracle de la multiplication des pains pourrait n'être «que» le prêche de la bonne parole. En effet, sachant que Jésus conférait à «nourrir» un sens spirituel, s'il a nourrit des hommes, c'était aussi probablement de façon spirituelle, donc par la parole. Qu'est-ce que Jésus faisait devant 5000 personnes (Mt 14.13), puis 4000 (Mt 15.32), sinon prêcher, ce qui était une manière de les nourrir spirituellement ? Il est probable – les Évangiles que nous avons ayant été écrites tardivement, un siècle ou deux après Jésus – que, de bouche à oreille, l'expression «nourrir spirituellement» soit devenue «nourrir matériellement», puis «multiplier les pains».
Nous avons un exemple de cette extrapolation au sein même des Écritures. Dans Matthieu et Marc, il est question d'un figuier sur lequel Jésus ne trouva pas de fruits. Alors, Jésus demanda au figuier de se dessécher et il se dessécha. Dans Matthieu 21.18, il se dessèche instantanément. Dans Marc 11.12, il se dessèche le lendemain. Mais dans Luc 13.6, c'est tout différent, le figuier n'est qu'une métaphore que Jésus prononce. Celui qui ne produit pas de fruit (bonnes actions), le cultivateur (Dieu) le coupera ; que croire ?

Il y a d'autres explications de nombreux miracles que l'on peut trouver par le symbolisme, comme la résurrection du Christ. En effet, puisque le Christ conférait à la résurrection un sens spirituel – il s'agit de se libérer de la volupté nous maintenant dans la mort pour renaître enfin –, il est probable que lui-même ait connu cette résurrection : celle de naître dans son esprit. Le fils prodigue (Luc 15.24) est celui qui, à cause de sa débauche, était spirituellement mort et qui, à cause de la honte éprouvée et du pardon demandé, est revenu à la vie.
On peut aussi interpréter comme une perversion des paroles mêmes de Jésus le mythe de la la virginité de Marie. D'abord, dans Luc 8.19, Jésus rétorque à ceux qui lui annoncent que sa mère et ses frères veulent le voir : «Ceux qui m'écoutent, ceux-là sont de ma famille.» Or, comment Marie aurait-elle été sainte si elle n'écoutait pas Jésus ? De plus, comment aurait-elle été vierge si Jésus avait des frères charnels ? Jésus prétendait être le Fils de Dieu et que n'importe qui pouvait l'être, à condition de se rendre compte que Dieu est en nous. En cela, Jésus n'était pas plus le fils de Dieu que vous ou moi, si seulement nous en prenons conscience. Mais quelques-uns qui l'écoutaient pensèrent probablement ainsi : «S'il est le fils de Dieu, il n'a donc pas de père.» Et ils inventèrent une légende comme quoi sa mère fut vierge avant de le mettre au monde. La naissance divine de Jésus ne fut reconnue que tardivement, au concile de Nicée en 325. En trois siècles, il a pu se passer de nombreux choses.
En outre, «guérir», dans la parole de Jésus ne signifiait pas guérir le corps – Jésus se moquait probablement de la santé du corps comme il se moquait de la richesse matérielle – mais signifiait guérir l'âme. De même, les aveugles étaient ceux qui ne percevaient pas la valeur du spirituel, par opposition au matériel. En Matthieu 15.14, Jésus désigne les pharisiens comme des aveugles. Il dit aussi : «Ils ont des yeux et pourtant ils ne voient pas.» Aveugle a donc un sens spirituel et non matériel. Voir aussi Mt 23.16-26.
«Marcher sur l'eau» (Mt 14.22), enfin, signifiait peut-être «marcher au-dessus des problèmes». En effet, le psaume 23 chante : «Tu me conduits près des eaux calmes», et l'eau a, dans le symbolisme hébreu et en général, une connotation à la fois de cycle et d'agitation sans but. En venir à être apaisé, à ne plus tanguer comme un radeau au milieu de l'océan des pulsions, voilà peut-être ce que Jésus entendait par «marcher au-dessus des eaux».
Si en effet Jésus n'a accomplit des miracles que spirituellement, ou bien spirituellement et physiquement, cela suppose une certaine perversion des textes. D'ailleurs, comment se fait-il que nous ayons si peu de sources dans la langue maternelle de Jésus, l'araméen, ni dans une autre langue qu'il parlait, l'hébreu ? Peut-être parce que nos Évangiles grecques ne sont que des copies, voire des falsifications, d'Évangiles plus anciens dont le sens était philosophiquement plus pur et qui ne mettaient pas autant en avant le merveilleux qui, bien que moins important dans la réalité, eut certainement une part.
Des Évangiles en hébreu – donc probablement plus vieilles – ont été jugés «apocryphes» et ils ont disparu. Parmi eux, l'Évangile des ébionites (disciples de Jacques le juste, auteur de l'Épître, et également appelés «judéo-chrétiens»), des Hébreux, des nazaréens, et des Égyptiens. Ces Évangiles niaient la divinité de Jésus-Christ, entre autres miracles, tandis qu'elles lui ajoutaient d'autres faits. Jésus était, selon ces Évangiles, un homme comme les autres qui ne s'était distingué «que» par sa grande justice.
On peut sentir l'influence de l'hébreu dans les Évangiles actuelles, notamment par quelques expressions typiques de l'hébreu mal traduites en grec dont «Fils de l'homme» qui, en hébreu, se dit «Ben Adam» et signifie «individu», «type», dans un sens commun et vulgaire. Cette mauvaise traduction conduit parfois à penser que «Fils de l'homme» à la troisième personne désigne Jésus lui-même. En Luc 7.33-35, il est écrit : «En effet, Jean le baptiste est venu, il ne mange pas de pain, il ne boit pas de vin, et vous dites : il a perdu la tête. Le fils de l'homme est venu, il mange, il boit, et vous dites : Voilà un glouton et un ivrogne, un ami des collecteurs d'impôts et des pécheurs.» Il suffit de remplacer «Fils de l'homme» par «untel» pour obtenir : «Jean le baptise jeûne et ne boit pas et vous dites qu'il a perdu de la tête. Tel autre mange et boit et vous dites que c'est un glouton.» Cela met bien en évidence que les hommes vulgaires critiquent sans le moindre jugement logique et que si l'on boit ou si l'on jeûne, il ne faut pas se soucier de ce que les autres pensent.
Suivant cette logique, on peut pousser la chose jusqu'à prétendre que les douze apôtres n'étaient qu'un symbole, celui des douze tribus d'Israël. En effet, les apôtres n'étaient pas douze, mais bien plus ! La Cène où les apôtres mangent «spirituellement» le Christ, c'est le moment où ils recevaient sa parole. Quand il est «trahi» par Juda, c'est seulement que sa parole est en conflit avec le judaïsme traditionnel. E.B.